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Omsk, petit quidam ne faisant pas de vagues.
30 janvier 2010

Requiem pour un massacre

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Il s'agissait à l'origine d'écrire trois articles en lien avec le totalitarisme (nazi et stalinien) basés sur trois œuvres : deux livres ("Les Bienveillantes" de Littell et "Central Europe" de Vollmann) ainsi que le présent film "Requiem pour un massacre". Ce triptyque (un rien ambitieux) s'étant comme souvent trop étiré en longueur dans le temps, je ne renonce cependant pas au plaisir de vous faire partager la chronique de ce qui est pour moi un monument - hélas méconnu - du septième Art.

Fin 2007 est édité en France le dernier film du réalisateur russe Elem Klimov, soit quatre ans après la mort de celui-ci. 22 années se sont écoulées entre la fin du tournage et la mise sur le marché hexagonal. Alors, séduit par les quelques images et vidéos circulant sur le net, je décidais de me procurer le DVD dans les jours qui suivirent. Le sujet en est à la fois simple et pourtant peu abordé : le front de l'est durant la seconde guerre mondiale. Plus précisément, il s'agit là du rite initiatique que devra subir l'adolescent Fiora dans un contexte que l'on est en droit d'imaginer plus riant. De facto, il évolue en territoire occupé (la Biélorussie) par les Allemands en 1943.

Profondément marqué par ce que lui même vécu enfant (la fuite de Stalingrad assiégée), Klimov bâtit l'un des plus grands films de guerre (et sans doute plus que cela) devenant l'égal d'un Coppola et de son "Apocalypse Now". A l'origine le film devait s'intituler "Tuez Hitler" (entendant par là qu'il s'agissait pour tout individu de détruire l'Hitler qu'il avait en lui), mais devant l'insistance de la censure soviétique il mua en "Va et Regarde", peut être plus mystique et tiré de l'Apocalypse selon Saint Jean. Se suffisant pourtant à lui même, la traduction accoucha en France du titre que l'on connait.

Le film se découpe aisément en deux parties. Dans la première, le jeune Fiora joue à la guerre plus qu'il ne la subit. Il délaisse sa mère et ses deux jeunes sœurs jumelles pour les partisans cachés dans la forêt, et s'y transforme en Robinson perdu dans la nature qui découvre l'amour. La présence des forces étrangères est pour le moins discrète : avion de reconnaissance à haute altitude ou bruits d'engins motorisés. Se faisant, de petites touches distillées ça et là enfoncent l'apprenti guerrier autant que le spectateur dans le malaise puis dans l'horreur.

Le camp des partisans est bombardé puis investi par la soldatesque (de vagues silhouettes évoluant entre les arbres) obligeant Fiora à se cacher. Aux bruits du conflit qui apparaissent se superposent des scènes bucoliques encore rattachées au monde meilleur d'avant. Livrés à eux mêmes (Fiora est accompagné de Glacha, fille un peu plus âgée que lui) ils se retrouvent tour à tour terrorisés et amusés, dans un cadre forestier et idyllique dont la faune et la flore (ici un héron, ici le soleil dansant entre les troncs humides) sont magnifiquement rendus par Klimov. Les adolescents se bercent encore d'illusions, comme si sortir du bois les fera échapper à ce mauvais rêve.

Mais retournés au village, ils découvrent un site désert. Et pour seuls signes de vie, une isba familiale remplie du bourdonnement des mouches. Pensant les villageois en fuite, Fiora s'élance sur la route tandis que Glacha le suivant de près aperçoit fugitivement la vision des habitants abattus le long d'un mur. Cette séquence (la première peuplée de cadavres) marque le début d'une transition dans le récit.

Exemple en est avec la nature passant de protectrice à envahissante et agressive. Nos naïfs héros s'enfoncent dans un marécage, manquant de s'y noyer. Boueux, fatigués, comateux, ils émergent dans une nouvelle société parallèle moins rassurante que celle mieux encadrée des partisans. Au sein de ces ilots recouverts de mousse subsistent des dizaines de réfugiés mourants. Fiora, sortant d'un demi-sommeil de quelques jours, et accompagné de trois compagnons de route part à la recherche de nourriture. Les personnages parviennent à se ressourcer, ce passage étant même humoristique. Perdu dans la steppe infinie, l'on retrouve un peu là de l'âme russe (qui rappelle les écrits de Gogol et Dostoïevski), mélange d'ironie devant l'adversité, d'humour et de tristesse.

Partis à quatre, seuls deux dénicheront de quoi survivre. Bien vite, ils seront rejoints par les balles traçantes qu'aboie une mitrailleuse au loin. Fiora se retrouve seul pour affronter le tiers le plus éprouvant du film. Il atteint un village, bientôt soumis par une troupe de SS, mélange hétéroclite d'uniformes et de nationalités. Une fois le périmètre bouclé, les maisons sont vidées de leurs habitants. Sur fond de musique militaire, tout le monde est réuni avant d'être bouclé dans l'église. Les rares parvenant à s'échapper assistent impuissants à l'incendie de la bâtisse par des pillards ivres et rigolards. L'objectif centré sur les soubresauts agitant la porte, suggère la monstruosité bien plus qu'elle ne la dévoile (à mon sens, un des atouts du film là où une production américaine alourdirait le tout par trop de pathos).

Fuyant avec leur butin, la caméra rattrape les Allemands en pleine déroute puisque mis en échecs par les partisans, ceux-là même que nous avions quittés au début du film. S'ensuit une justification rapide des survivants, de celui qui nie avoir jamais tué quelqu'un au fanatique en passant par les auxiliaires entraînés de force dans cette besogne. Tous finiront exécutés. Fiora, devenu muet, fait figure de zombie bien loin donc de l'enfant qu'il était autrefois. La guerre l'a vieilli de plusieurs décennies. Arrivé devant un portrait du chef nazi et pris de démence, il vide son chargeur sur le tableau. Chaque balle frappant le verre inverse le cours des évènements, jusqu'à arriver à Hitler dans les bras de sa mère. Métaphoriquement, Klimov rejoint ainsi son idée première en suggérant de supprimer le mal en nous.

S'ensuit un long travelling arrière suivant l'élan des partisans desquels Fiora fait désormais partie à part entière et non plus comme subalterne ; Le requiem de Mozart lui conférant un dernier souffle épique...

Devant les plus connus Tarkovski et Eisenstein, il s'agissait là du premier film soviétique (et sans doute russe) qu'il m'ait été donné de voir. Plus que le fond, c'est la réalisation qui véritablement suscita mon admiration. Des effets sonores à la manière de filmer, on est bien loin des carcans hollywoodiens. Klimov a su produire une pépite, ce sans milliards de dollars en gardant un très grand souci de réalisme (lieux de tournage biélorusses, emploi de munitions réelles). Le meurtre de masse y côtoie la plus grande beauté, un espèce de mélange dérangeant qui rappelle Malaparte et son "Kaputt" dessinant un conflit immonde et baroque... 

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