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Omsk, petit quidam ne faisant pas de vagues.
8 février 2013

Ablation (Acte I)

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Et voilà. Le stress commençait à monter. Doucement. Allongé sur la table d'opération, j'observais le scialytique, une espèce de gros spot d'éclairage scotché au plafond. Des cables électriques couraient d'une machine à l'autre. Quelques tables roulantes présentaient leurs instruments chirurgicaux. Et, entre elles, évoluaient une demi-douzaine de personnes sanglées de blanc ou de bleu qui, de temps à autre, me jetaient un oeil. Ma main droite dépassait de la couverture chauffée. Une perfusion la prolongeait. Des diodes avaient été scotchées en haut du torse. Il me semblait qu'ils relayaient les bâtements de mon coeur. L'électronique résonnait dans la salle. L'anesthésiste me posa un masque de plastique sur le visage et l'alimentait en oxygène via une poire noire. Soudain, le silence se fit.

Tout cela avait naturellement démarré pas mal de temps en amont. On avait parcouru un bout de chemin lui et moi. Combien ? 6, 7 ans ? Impossible à dire. On se réveille avec un bouton à l'arrière du crâne et une flopée d'années plus tard, le voilà transfiguré. Le malpropre. Un matin, j'avais écarté deux mèches de cheveux pour entrapercevoir la chose. Du Carpenter, presque. Assez gros et rosacé. Un bout de cervelle qui s'échappait du crâne. Le genre crade. Qu'on a pas trop envie de conserver. Un coup de peigne mal placé du coiffeur et il pourrait bien pendouiller, suspendu à quelque cartilage.

Hamartome. Le nom civilisé du bambin. C'est ce que me confia le chirurgien, devant lequel m'avait envoyé son confrère, mon médécin traitant. Fallait opérer. A l'anesthésie générale. Je préfèrais ça. J'entendrais pas le bistouri gratter l'os. Plutôt sympa sinon le toubib. Pas forcément très pédagogue. Mais décontract'. Suivant la procédure médicale, je devais donc croiser un anesthésiste avant la bataille. Celui-ci m'accueillit dans son petit bureau jaunâtre. Je ne crois pas qu'il était Français. Cambodgien, j'aurais dit. C'est ça l'hôpital public, paraît-il. La fuite des nationaux vers les cliniques. Faut faire venir la main d'oeuvre d'ailleurs. L'anesthésiste donc, sourire jovial en avant, met à l'aise. Quelques questions. Une entrevue courte. Ma deuxième visite à l'hôpital.

Tout en longueur et dos au Havre, le bâtiment domine la vallée. En contrebas, on peut observer les baronnies locales aux couleurs chatoyantes : Leroy Merlin, Decathlon, MacDonald, Darty. Pour tous les goûts. La voie rapide alimente le système. Quelques voitures dessus. Des gens dedans. Et moi et mon con d'Hamartome. L'hôpital sent le propre et on l'a paré de couleurs claires (jaune, bleu, blanc) pour rassurer le patient. Lors de mes visistes, j'oscillais entre curiosité et légère appréhension. Mon excroissance était bénigne mais figurait une sorte d'avant goût. Un jour, je reviendrai et pour quelque-chose de plus corsé. Fallait donc s'habituer, palper les lieux.

Un jour de novembre, à jeun, on m'attribua une chambre individuelle. Elle donnait sur l'héliport et les grosses cylindrées des docteurs. J'avais pris La Peau de Malaparte, un livre où l'on aperçoit des Juifs crucifiés sur le front de l'est. De quoi gentimment tuer le temps. Car la santé est affaire de patience. On a vite fait le tour du lit pliable. Et s'envient la douche à la bétadine. Marque déposée. Celle-ci effectuée, l'on peut désormais porter la tenue réglementaire, blouse translucide lacée sur l'arrière. On apprend la modestie. Deux infirmiers déplacent ensuite le plumard vers le bloc opératoire, devisant gaiement. Un saut plus tard, du lit au brancard, l'on peut se prendre à réfléchir. Et à paniquer.

On entre de plein pied dans le vif du sujet, dépourvu de ses moyens. Seul. L'anesthésiste, un solide gaillard (le Cambodgien m'avait fait faux bond) sort alors sa seringue pour viser l'avant-bras. Malchance chronique oblige, je vois le type mécontent tripoter la valve qui me troue la peau. Seconde tentative. Il ne me loupe pas le salaud. Une douleur me vrille le haut de la main, j'imagine qu'il a touché un nerf. Bon, apparemment ça lui convient. Sadique.

Et nous y voilà. Le gaz anesthésiant me fait partir d'un coup et je me retrouve conscient en salle de réveil, shooté. L'opération a duré une vingtaine de minutes. De retour dans l'aile sud, je suis comme apaisé, détendu, presque content. Dormant par bribes, une demi-douzaine d'agraphes referme ma cicatrice. Blessure de guerre qui laisse une tâche jaune-rouge sur l'oreiller. La nourriture n'est guère réputée mais à ce moment-là, on mangerait n'importe quoi. Le plateau repas fait figure de divin banquet. Le temps s'étire comme la perfusion qui se prend dans les pieds du lit. La nuit tombe. Le chirurgien vient me délivrer, me laissant quelques recommandations couchées sur ordonnance.

Rapatrié par le paternel, je finis par m'endormir plus tard du sommeil des justes. Quelques milligrammes de tissus oubliés en amont...

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