Violent Cop
1989. Inconnu en tant que réalisateur et découvert quelques années plus tôt
(par le public occidental) dans Furyo en 1983, Takeshi Kitano signe son premier
film. Il y remplace au pied levé Kinji Fukasaku (le père, entre autres, de
Battle Royale). Violent Cop ne brille au départ pourtant pas par l'originalité
de son scénario.
Azuma (figure centrale jouée par Kitano) est flic. Un flic aux méthodes,
certes, parfois expéditives. Azuma ne s'encombre pas de délicatesse et frappe là
où ça fait mal. Un camé forcené défonce le crâne de votre collègue avec une
batte ? Azuma lui fonce dedans au moyen de sa voiture de service avant de le
tabasser au sol. Pourtant, ce flic taciturne n'est ni pire, ni meilleur que ses
collègues. Mais lui, à la différence de ces derniers, joue franc-jeu et
ne louvoie pas dans l'ombre. D'ailleurs ses méthodes, aussi brutales
soient-elles, sont encouragées (ne serait-ce que mentalement) sous le manteau
par ses supérieurs. Ainsi au début du film, Azuma est convoqué dans le bureau de
son chef suite à un tabassage. Or celui-ci, après quelques remontrances,
déclare: "Personnellement, ça ne me déplaît pas". Quelques temps plus tard,
toujours dans le bureau, le commissaire exige de simples excuses écrites alors
qu'Azuma vient de rouler sur un suspect. D'un ton lasse, le chef déplore que
l'interpellation se soit déroulée de façon un peu abusive.
Kikuchi est le subalterne d'Azuma. il s'agit de sa première affectation
dans ce commissariat, peut être même de son premier poste au sein de la police.
Il ne connaît rien du terrain, fait figure de gentil garçon et réprouve, très
naturellement, les méthodes de son supérieur. Mais contrairement à Takeshi, il
finira par se laisser corrompre à la fin du film par les Yakuzas. Les deux
hommes sont de plus comparés tour à tour en un même lieu. La première fois,
c'est Azuma qui traverse un pont de sa démarche si particulière (balancement des
bras, raclement des talons sur le sol, visage assez inexpressif) pour se rendre
au commissariat. A la fin, c'est à Kikuchi d'en faire de même pour se rendre
chez la pègre locale afin d'y toucher son salaire.
Kitano illustre ici de façon très efficace, le remplacement d'une
génération de flics par une autre. A celle des anciens, il est vrai violente
mais régie par un certain code de l'honneur, du moins un sens du devoir; s'y est
superposée celle des jeunes, respectueuse en apparence mais uniquement motivée
par l'appât du gain et la survie, au mépris de toute déontologie.
Le troisième, et à mon sens dernier, personnage central est Kiyohiro. C'est
le bras droit de Nito (chef des Yakuzas). A bon nombre d'égards il ressemble à
Azuma. D'abord, parce que comme le flic, le truand passe outre sa hiérarchie (là
encore l'analogie "gentils" / "méchants" est frappante) et n'obéit qu'à lui même
et à ses pulsions, de meurtre en l'occurrence. Ses chefs s'offusquent de ses
prises de décision mais les révèrent au fond. Dénigrer pour mieux approuver. En
premier lieu car elles sont terriblement efficaces, ensuite car les chefs
admirent, en un sens, ces hommes qu'ils auraient voulus être. D'ailleurs Azuma
et Kiyohiro ne s'y sont pas trompés. Ils se savent du même monde et Azuma ne
doit sa place au sein de la police que par piston et pas par réelle motivation.
Il aurait pu se trouver aux côtés de Kiyohiro, comme celui-ci aurait pu se
trouver aux côtés d'Azuma. La frontière est de toute façon extrêmement ténue
entre flics et Yakuzas...
Reste que les deux hommes sont malgré tout ennemis. Ils se vouent une haine réciproque pour des motifs de plus en plus personnels. D'abord dans une logique d'escalade de la violence, Azuma et Kiyohiro ne pourront se départager que dans un duel à mort, afin d'assurer la domination de l'un sur l'autre. Un combat entre deux surhommes, étrangers au reste du monde.
Le film est aisément reconnaissable de par son style. Par exemple, des
périodes de violence alternent à des moments plus mélancoliques, tristes ou
comiques. La violence est là, elle est sous-jacente mais pas omniprésente (à
noter le grand intérêt de la bande originale). Quoiqu'ils fassent les
protagonistes y sont soumis et ne peuvent s'y soustraire. Exemple en est avec
Azuma qui, une fois mis à pied, retrouve goût à la vie (il visite une galerie
d'art, va au cinéma...) mais finira par retomber dans la spirale infernale.
Autre marque de fabrique : le jeu minimaliste de Kitano. D'abord au niveau des
répliques, il parle peu mais quand il faut (un peu à la manière d'Eastwood
durant la période Leone), ensuite au niveau des expressions faciales.
L'acteur / réalisateur a dit à ce sujet: "Dans mes films et ceux des autres,
j'essaie en général d'inhiber mes expressions pour que le spectateur, suivant la
situation, ressente ses propres émotions à travers mon personnage."
Au final, Violent Cop est un grand film au ton emprunt de fatalité et de
tristesse. La population se divise en trois : les victimes, les lâches, les
bourreaux. De plus, ne comptons pas ici sur la jeunesse pour apporter un peu de
sang neuf. Trois scènes portent à l'écran des jeunes ou des enfants. La scène
d'introduction où des ados tabassent à mort un clochard puis quand des gamins de
5 / 6 ans balancent des cannettes sur ceux qui passent sous le pont où ils sont juchés. La troisième les tient en tant que témoins d'une scène violente,
violence qu'ils reproduiront par magnétisme une fois adultes. Peut être est ce
finalement le cas d'Azuma, qui à la fin, ayant perdu toute raison de vivre (son
meilleur ami et son ennemi juré son morts), tue sa sœur : seule personne
innocente et désintéressée du film, qui finalement aura été contaminée par la
violence et la drogue, ce que son frère ne voulait pas.
Incompris et rejetant le monde qui l'entoure, plus rien ne le retient
désormais...