Quand les magouilles se disputent à la médiocrité
JPP, figure indéboulonable du 13 heures de TF1, a reçu l'immense privilège d'illustrer avec talent l'article ici présent consacré à l'empire de la première chaîne. Car cette véritable institution est relativement plus complexe qu'il n'y paraît.
Au commencement se trouvait Francis Bouygues. Se spécialisant, dans les années de l'immédiat après seconde guerre mondiale, dans le secteur du BTP, l'ami Francis gagne très rapidement une belle renommée auprès des dirigeants de la IVème République. L'homme, qui a fait de sa boîte la première au niveau mondial (12 milliards d'euros annuels de chiffre d'affaires), est également connu pour sa culture d'entreprise. Voici en quoi elle consiste : une élite, et donc minorité, d'employés voit sa fidélité au groupe récompensé. Ce groupe, lui, encadre la masse des salariés, qui pour le coup ne jouissent pas des mêmes attentions, ni surtout des mêmes avantages. Il faut savoir que dans ces années de reconstruction à tout crin, et ce longtemps encore après, la majorité des travailleurs du bâtiment est d'origine immigrée (88% au début des années 70) et voilà ce que dit Francis Bouygues à leur sujet : "Nous ne pouvons pas la (sous-entendu la majorité) former parce que si nous la formons, nous n’avons pas l’espoir de la
conserver. [...] Ces gens-là sont venus en France pour gagner de
l’argent. Et à partir de là, il leur est égal de travailler douze
heures par jour et même seize heures l’été quand ils le peuvent."
Petit à petit, Bouygues se diversifie (construction de plate-formes pétrolières, rachat en 1984 d'une des principales sociétés de distribution d'eau françaises, acquisition de TF1 en 1987, lancement de Bouygues Telecom en 1996...), tout en poursuivant une politique de grands travaux (Arche de la Défense, BNF, Pont de Normandie, Stade de France, Aérogare 2 de Roissy, Parc des Princes...). Rappelons que le BTP est un des secteurs les plus troubles qui soit, notamment au niveau de l'attribution des marchés publics. A sa mort en 1993, c'est son fils (Martin Bouygues) qui prends le relais.
Intéressons nous désormais à la chaîne en tant que tel. Elle a à sa tête Patrick le Lay, à qui nous devons (merci Patrick), la culture made in TF1. Voyez plutôt : Le Droit de savoir, Téléfoot, Les Sept péchés capitaux, la Star Académy, Attention à la marche, Le maillon faible, Mon incroyable fiancé, La ferme célébrités etc etc... Mais non, j'ai parlé trop vite. Patrick ne fait pas que dans le populisme, les clichés et l'esprit cocardier car Patrick aime à ce point la littérature qu'il nous propose Vol de Nuit (émission consacrée aux livres, puisqu'on les montre mais on va quand même pas se faire chier à les lire) toutes les deux semaines aux alentours de minuit. Quand la culture tue la culture.
TF1 a su réinventer un genre, se construire une marque de fabrique, qui rappelons le séduit jours après jours près de 32% des Français, toujours en manque de sensationnel, d'événementiel et bien sûr de culture. Ce chiffre, qui en fait le premier groupe médiatique en France voire en Europe, reste une moyenne. Ainsi, en 2005, TF1 réalise 98 des 100 meilleurs audiences de l'année, justifiant son dernier slogan : "On a tous TF1 en commun". Enfin, Le Lay c'est quand même (excusez du peu) l'auteur de la maxime devenue célèbre : " [...] pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du
téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le
rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le
préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du
temps de cerveau humain disponible." Patou s'est plus tard justifié, nous disant que la phrase a été lancée au cours d'une réunion avec ses amis du Medef, précisant qu'il a l'habitude de forcer le trait pour faire comprendre des concepts. Vas-y, continue à nous prendre pour des cons...
Egalement pilier de la maison, le JT et un traitement de l'info souvent critiqué et mis en cause. Exemple en est avec mon ami Jean-Pierre les 20 et 21 mars 2006 (période du CPE).
Les prévisions météo
Le moral revient avec l’arrivée du Printemps
CPE : forte mobilisation étudiante à Metz
CPE : les chefs d’entreprises favorables au nouveau contrat
Les médiateurs d’une association brestoise en grève
Décès d’un maire sur la Nationale qu’il voulait aménager
PV : Toulouse, ville propice
Des citoyens soutiennent leur député dans sa grève de la faim
Projet A51 : pour et contre
Des agriculteurs du Nord agacés par les déchets dans leurs champs
La "Villa Beau-Site" mise en vente par l’Institut National de France
L’école à la maison pour des enfants malades
Les avantages des magasins dits « de vente express d’occasion »
La blanquette de veau, plat préféré des Français
Petit tour au marché de St-Jean-de-Luz
La Touraine, lieu phare des jardiniers
Fête des œillets dans les Alpes-Maritimes
Hommage traditionnel à la petite madone à Ajaccio
Brasseries parisiennes : « La Coupole », lieu mythique du Tout-Paris
Les sujets, classés de manière chronologique, révèlent une tendance forte. A savoir, l'information principale (le CPE) est noyée sous des informations dont tout le monde devrait se contrefoutre (hormis les amateurs de blanquette.). Mais non, en regard des statistiques, les téléspectateurs arrivent à se passionner pour le dernier tailleur de pipes du Cantal ou le péril qui menace les sabotiers du Jura. Les informations primordiales sont, quand elles sont traitées, abordées sous un aspect propre au ton de la chaîne, un ton au parti-pris, ignorant donc la neutralité (qu'en pensent les patrons et y'a t-il eu des affrontements en marge des manifestations ?). JPP est à ce point balèze que son journal est différencié, jusqu'au sein de la rédaction, des autres. Il s'agit en fait d'une dépolitisation (recouvrement du mondial et du national par le local et la proximité) associée à une politisation droitière de l'information.
Jean-Pierre, l'homme proche et défenseur du peuple, pourfendeur de la mondialisation et autres périls extérieurs, compose avec deux autres "journalistes de talent". D'abord avec Claire Chazal, la mal baisée du 20 heures. Claire, toujours impassible, annonçant avec la même chaleur et la même joie de vivre un attentat à Bagdad et la bonne santé du tourisme en France. Ensuite avec PPDA, qui malgré un air du moins pire, n'en cache pas moins de graves manquements à la déontologie journalistique (comme bon nombre de ses confrères d'ailleurs). En 91, le pseudo-breton (puisque né à Reims) bidouille une interview de Fidel Castro. A partir d'images d'archives, PPDA nous fait croire à un véritable échange. En réalité, ils ne se sont jamais rencontrés. En 95, il est condamné à 200 000 francs d'amende et à quinze mois de sursis pour recel d'abus de bien sociaux.
Autre trait caractéristique de la chaîne : la connivence avec les politiques de droite. J'en veut pour preuve :
- Robert Namias, directeur de l'info, a été nommé président du Conseil national de la sécurité routière par le gouvernement Raffarin. Hasard des choses, Bernadette Chirac dont la conseillère en communication n'est autre que la femme de Namias (Anne Barrière), siège dans ce conseil. Comme le monde est bien fait !
- Jean-Claude Narcy, directeur adjoint de l'information, s'est chargé de coacher la porte-parole de l'UMP : Rachida Dati. JC va finir par devenir un véritable dieu en la matière puisqu'il avait déjà rendu ce service à Hervé Gaymard, ancien agent immobilier, euh pardon ministre de l'Agriculture.
- Ce même Gaymard avait, lorsqu'il était encore en poste, choisi comme responsable d'une commission sur la modernisation agricole (dans le cadre d'un projet de loi) un chroniqueur économique de TF1 : Jean-Marc Sylvestre. Le hasard toujours le hasard...
- Claire Chazal, non contente d'avoir écrit une biographie lèche-bottes de sa suffisance Balladur, ne cache pas son amitié pour l'actuel ministre de la culture : Renaud Donnedieu de Vabres (un homme du peuple).
Mais après-tout, ces gentils messieurs / dames ne font que suivre l'exemple venant d'en haut, en la personne de leur patron, Martin Bouygues. Bouygues, qui voit en Sarko, je cite : un dieu, une espèce de maître à penser. Rien que ça. Bouygues, également témoin de Nicolas à son mariage. TF1/UMP, main dans la main pour un destin partagé. Mais, qu'on se rassure, si une minorité de personnalités roule pour la droite française, ce n'est pas le cas de tout le monde. Etienne Mougeotte (numéro 2) nous rassure sur ce point :
"[...] Et l’honnêteté des journalistes de TF1, leur impartialité, elle est absolue !". Ben voyons. Sacré Etienne, toujours le sens de la déconnade.
Finissons avec un dernier exemple, qui illustre à merveille le système Bouygues / TF1. Suite à la chute de l'Union Soviétique en 1991, Saparmyrat Nyyazow prend la tête du Turkménistan, faisant sombrer le pays dans une spirale mégalomaniaque que peu de dictateurs ont réalisée. Les hôpitaux, les aéroports, les écoles portent son nom ou celui de sa mère. Ses statues quadrillent le territoire, et ce jusqu'au cœur du désert. Le culte de la personnalité, est à ce point poussé à son paroxysme, que Nyyazow fait construire en plein centre de la capitale un gigantesque édifice (l'Arche de la Neutralité) surmonté d'une statue plaquée d'or à son effigie (tout naturellement). Statue qui tourne sur elle-même afin de toujours se trouver dans l'axe du soleil. Le dictateur est, paradoxalement, un fervent défenseur des droits de l'homme. Non, je déconne.
Le président à vie se rend en France en 1996. Et comme lors des rencontres entre chefs d'états, les entrepreneurs et capitaines d'industries sont présents. Résultat des courses, le Turkménistan, bastion autoritaire d'Asie Centrale, est courtisé pour ses richesses gazières entre autres mais aussi pour la réalisation de projets titanesques. Bouygues, obtient la construction d'une immense mosquée associée à un mausolée dédié à Nyyazow et à sa famille. TF1, n'a pu, à l'époque, s'empêcher d'inviter le dictateur et même d'en faire une émission (jamais diffusée). Qu'y trouve t-on ? Bouygues bien sûr, accompagné pour le coup de ses camarades de classe : PDGs de GDF, d'EDF et Le Lay. Les patrons ont donc mis le pays en véritable coupe réglée. Pendant que Bouygues s'arroge le BTP, sa filiale TF1 s'occupe des médias pendant qu' EDF / GDF pompent le gaz et distribuent l'électricité. Tout cela sous couvert de redistribution à la population des bénefs'. Et la boucle est bouclée.
Mais, ô joie de l'internet, la vidéo existe bel et bien. Voici, donc pour les plus courageux (elle dure 40 minutes), et en exclu, l'histoire d'un scandale (loin d'être isolé) tout à fait consternant. A gerber. Mais je vous laisse seuls juges...
Mister President