Crève salope
Ah le Havre ! Plusieurs théories circulent à son sujet : cité bâtie par des extra-terrestres adeptes du mauvais goût ou ville bunker édifiée par les nazis durant l'occupation ? On ne sait plus que dire. Une chose sur laquelle, en général, on s'accorde : le Havre, c'est moche. C'en est même particulièrement laid et repoussant. Non, définitivement non, j'adhère pas. J'y arrive pas, c'est viscéral, je peux pas piffer cette Stalingrad du Nord. Ah bah pour une fois qu'y a un truc de bien trouvé ici, c'est le surnom. Et merde, Stalingrad avait au moins le mérite de cultiver une ambiance festive, de déconne. Le Havre, non. Le Havre, c'est un peu la vieille fille habillé en noir qui a jamais baisé de sa vie, tellement aigrie qu'on peut plus espérer en retirer un quelconque bénéfice, pas même un sourire ou un remerciement. Salope va ! Y paraît qu'un jour le Havre fut une belle ville. Y paraît. De toute façon, plus personne est là pour le dire, encore moins pour le penser.
Alors s'il n'y avait que l'architecture type mur de l'Atlantique (inscrite à l'UNESCO quand même, écarquillez bien vos yeux), on pourrait s'y retrouver. Ah non, comble de malchance faut aussi se fader ses habitants. Remerde, vous revenez en deuxième semaine. Cultivant une rhétorique digne des plus grands sophistes, le Havrais se double d'un esthète et d'un poète : "P'tain, tu la bouges ta p'tain de caisse, 'culé va !" Moi, je demande qu'à le croire Darwin, non je le traite pas de menteur mais il aurait pu faire un détour par le Havre, histoire de réécrire un chapitre à sa théorie de l'évolution avant de se tirer une balle, dégoûté. Certains comprendrons ma colère qui n'est on ne peut plus légitime.
Après de longues années, s'il y a quelque chose à découvrir dans la ville, je crois qu'on l'a vu jusqu'à en user la corde. Le Havre, ville où il fait bon vivre. Va donc, eh radasse. Difficile quand on se ballade le soir de croire qu'il y a presque 200 000 habitants. On va pas se fâcher en parlant d'une vie nocturne. Y'a bien un ou deux cinoches, quelques bars et après ? Après, y'a pas de solution miracle, y'a les copains. S'il n'y en a pas, ça se corse sévère. Il faut se balader à 19h00 un soir d'hiver pour piger. Les rues sont désertes, ne laissant qu'entendre le bruit des volets qui claquent, secoués par le vent s'engouffrant entre les murs de béton armé. Y'a plus rien, nada, manque qu'un buisson traversant la rue comme dans les westerns. Les gens se sont calfeutrés, ne jetant que de temps en temps un regard apeuré vers la rue. Fous sont ceux qui bravent l'interdit. Je ne parle pas du dimanche, encore moins du premier janvier. Bonne Année... Oh, et puis merde, je vais me coucher.
On est pourtant au XXI ème siècle. Plus de pestes noires, plus d'armée de pillards. Le Havre, ville morte, capitale moribonde de l'ennui. Merci Monsieur le Maire. Ça m'est aussi arrivé en vacances de dire où j'habitais. Tragique erreur. Le Havre, mais c'est pire que Brest ! Un peu plus et on me jetait des pierres. Eh, ça va, je porte pas l'étoile jaune non plus. Alors, le jour où l'université de Rennes m'a répondu par mail que ma candidature était quasiment acceptée, mon sang n'a fait qu'un tour. Tchao les putes, je me casse. Fini le purgatoire. Tant pis, si je n'obtient qu'un 3 mètres carrés pour un loyer exorbitant. Tant pis, si je bouffe des pâtes tous les jours. Elles auront au moins le mérite d'avoir un goût de liberté et d'indépendance. Le Havre, dans ma situation, c'est aussi ça. Des gens peuvent trouver la ville belle. Dans le sens ou, études supérieures aidant, elle symbolisait et symbolisera toujours sans doute un espace de nouveauté, loin de la famille. Moi, c'est tout ça que j'aspire quitter. Je laisserais la cité derrière moi mais aussi le jeune con que j'étais, les chemins balisés, sûrs et connus, les connaissances, bonnes ou mauvaises.
Dans une nouvelle ville, mon passé, et tout ce que ça implique seront derrière moi, le plus loin et le plus enfoui possible, délivré au compte-gouttes si l'envie m'en prend. Tant pis, si la vie à Rennes ne me sourie pas (études, appart', personnes...), elle aura, et je me répète, le goût du changement, chose oubliée au Havre. Et merde, si la Bretagne me rejette, je pars pour Bagdad ou Grozny, même si la fac est en ruines au moins, c'est spectacle son et lumières tous les jours.