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Omsk, petit quidam ne faisant pas de vagues.
7 avril 2007

Trois ordures au soleil

BonBruteTruand065

Lorsque sort au cinéma en 1966 Le bon, la brute et le truand, le western était un genre en fin de règne voire de vie. Les icônes du mouvement, Wayne et Ford en tête, sont reléguées au placard. Un Italien surgit alors, redonnant à l'ouest sauvage américain des lettres de noblesse qu'il n'avait même pas entraperçu. Cet homme, c'est bien évidemment Sergio Leone, préférant baser ses scénarios sur un monde hostile, violent, livré à lui même et totalement incontrôlable plutôt que, comme l'ont si bien fait ses prédecesseurs, sur un mythe national quasiment crée de toutes pièces où un gentil cow-boy propre sur lui, sans peur et sans reproche, s'évertue à défendre la veuve et l'orphelin et à nettoyer son beau pays de la racaille indienne.

C'est loin des contraintes hollywoodiennes, sous le soleil espagnol que Leone mettra au point sa trilogie dont  Le bon, la brute et le truand sera le point d'orgue, l'apothéose. Une merveille filmique reposant sur tois acteurs au sommet de leur talent, des décors dignes de la Sierra Madre, une musique d'anthologie orchestrée par le fidèle de toujours Ennio Morricone, une pléthore de sales gueules, des répliques devenues cultes, une violence inconnue pour l'époque... Ce film, c'est au départ et de façon basique une chasse au trésor entre trois hommes sur fond de guerre de Sécession.

Le Bon (Clint Eastwood) : "Tu vois, le monde se divise en deux catégories. Ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi... tu creuses."
Eastwood, fort de sa participation aux deux précédents opus de cette trilogie du dollar, est assez logiquement présent au générique avec malgré tout une différence de taille vis à vis de ses autres westerns. Sa figure de personnage errant qui parle peu et tire vite, le cigarillo au coin des lèvres, s'est bel et bien imposée à son jeu d'acteur. Mais à la différence d'un Et pour quelques dollars de plus, où l'homme sans nom crevait l'écran, Le bon, la brute et le truand met en scène trois personnages, se partageant de façon égale le terrain. Eastwood n'est pas seul et doit composer avec les deux autres. A première vue, le Bon ne mérite guère ce qualificatif. Il est autant motivé par l'argent que la Brute et le Truand, n'hésitant pas à abandonner  un associé en plein désert, sans eau, loin de la civilisation. On est confirmé en ce sens par les propres propos du réalisateur : "Ces appelations étaient arbitraires. Très vite, on peut s'apercevoir que le Bon est tout autant un fils de pute que les deux autres ! Ils se valent tous."

Malgré tout, il ne tue que pour se défendre et n'y éprouve aucun plaisir. Et des trois, c'est le seul à montrer ne serait ce qu'une once d'humanité à l'égard des victimes de la guerre civile. Autre différence, c'est le seul à ne pas porter de nom. Le Truand y pourvoira en le surnommant Blondin, ce qu'il n'est pas.

La Brute (Lee Van Cleef) : "Je suis un créancier très patient. Quand le moment est venu, je me fais payer, quoiqu'il arrive."
Si Eastwood endossa très vite le rôle du Bon, celui de la Brute devait échouer à Charles Bronson. Faute à un contrat, ce dernier ne pourra jouer le rôle du plus salopard des salopards. Si l'on peut gloser du terme de bon pour Eastwood, on note rapidement que Cleef se glisse parfaitement dans la peau d'une bien belle ordure. Il incarne un tueur à gages, qui suite à un de ses nombreux contrats tombera sur la piste menant aux 200 000 dollars des confédérés. Sentenza tue, le fait bien et en redemande. S'il jouit du mal qu'il fait, il se délecte autant (et peut être davantage) de la peur qu'il inspire. Ainsi, à plusieurs reprises, il ira jusqu'à partager le repas de ses victimes avec elles, avant de les abattre le plus normalement du monde. Le dernier repas du condamné en somme. Tout de noir vêtu, c'est une belle personnification de la mort : froide, implacable et sans remords. La Brute fait penser à ces prédateurs (il en a le physique d'ailleurs), de ces grands prédateurs qui savent pertinemment que rien ne sert de courir, que le gibier se fatigue inutilement. Un peu à la manière d'un requin qui, maître de son élément, au fûr et à mesure de cercles concentriques se rapproche de sa proie...

Le Truand (Eli Wallach) : "Quand on tire, on tire. On raconte pas sa vie !"
Ce dernier larron doit bien souvent composer avec les humeurs de ses compagnons de route. Charge à lui de se salir les mains et d'encaisser les coups (foireux de préférence). La couleur est annoncée dès le départ puisque Tuco (de son patronyme complet Benedicto Pacifico Juan Maria Ramirez) a une liste de méfaits qui donne le tournis. Voyez plutôt, tout le code pénal y passe : vol à main armée, viol d'une jeune fille de race blanche, sabotage d'une voie ferrée, attaque d'un convoi ferroviaire à des fins de vol, trafic d'armes, de munitions et d'explosifs... Tuco, donc, est passé maître dans l'art de la survie. Abandonné en plein désert, menoté à un mastodonte, roué de coups... S'il n'est pas idiot, c'est indubitablement un homme simple, très peu instruit, sans doute très tôt en bute à la dureté de l'ouest et ne devant compter que sur lui même et son six coups. Mais là où un Blondin use du mensonge pour cacher ses intentions, Tuco lui n'y songe même pas et ne pense qu'à encaisser les coups, quitte à en mourrir plutôt que cracher le morceau.

Le Truand est le seul dont on évoque la passé et dont on aperçoit la famille : à savoir Pablo, son frère entré dans les ordres. Les deux hommes ne s'aiment guère, sans doute car ils ne se comprennent pas. Pablo l'aîné n'a pas connu tous les problèmes de son cadet même s'il est issu d'un milieu misérable. Il a toujours eu un toit, trouvant en l'Eglise une filiation familiale forte tandis qu'à l'opposé Tuco s'est construit seul, contre les éléments, bâtissant une frontière entre le moine et le bandit, seules voies permettant de ne pas mourir de faim.

Après les séquences présentant les personnages de façon individuelle, ces hommes devront s'associer, souvent de façon contrainte et forcée pour arriver au but ultime : l'or. Chacun possède une partie de l'énigme : Sentenza connaît le nom du soldat qui a planqué le magot, Blondin la tombe et Tuco le cimetière. Ils traverseront le conflit pour se départager dans un final dantesque à Sad Hill. Cette guerre sera utilisée différemment par les protagonistes. Les compères Blondin et Tuco la voit comme une contrainte. Ils ne se travestissent en soldats uniquement pour traverser les zones militaires, et qu'importe la couleur de l'uniforme. Sentenza lui, y voit au contraire un moyen rapide d'arriver sans encombres à ses fins. C'est pourquoi, il s'engagera et investi d'un pouvoir en usera pour trouver une piste.

Sans pousser la surinterprétation outre-mesure, on peut voir, en plus de la compexité des personnages, deux piliers qui sous-tendent le film. D'abord un rejet de la guerre. Ici la guerre, c'est la déshumanisation la plus totale poussant les hommes à s'étriper pour un simple pont que les états majors, dans leur aveuglement et leur mépris, ne songent qu'à prendre intact. une fois celui-ci parti en fumée, les armées iront tout simplement touver un nouvel endroit pour continuer un combat, qui ne nous est même pas présenté bardé de nobles idéaux. Les gens se tuent sans savoir pourquoi. Cette guerre, c'est aussi une certaine vision de l'ironie. Par exemple, le camp de prisonniers où Bon, Brute et Truand se retrouveront pour la première fois, se dénomme Betterville, lieu où donc il fait bon vivre si l'on exepte les tortures à l'encontre des prisonniers ! Mais plus que tout, c'est la musique jouée dans l'enceinte du camp (qui cyniquement sert davantage à masquer par son bruit sévices et mauvais traitements qu'à procurer un moment de détente pour les captifs) qui témoigne de l'engagement du cinéaste. En voici les paroles (que l'on doit à Tommie Connor) traduites :

"Les clairons vous appellent des prairies
Formez les rangs et partez en guerre
Les tambours roulent
Les coeurs sont emplis de fierté
Marchez, soldats
Et gardez le sourire
De la fumée cache la vallée
Des flammes courent sur la plaine
Les canons grondent sourdement
Tout n'est que ruines
Pâturin et coton, brûlés et oubliés
Tout espoir semble mort
Alors, soldat, marche vers la mort
Compte chaque croix
Compte chaque larme
Ce sont les pertes et les tristes souvenirs
Cette désolation était jadis une nation
Ainsi en est-il
Quel est le prix que l'on paie ?
Au loin, je vois un drapeau
Grimaçant, en lambeaux
Mais à qui appartient-il ?
Comment fini l'histoire ?
A qui va la gloire ?
Demandons-le, si l'on ose
A nos camarades endormis."          Soldier's story

Secundo, la place de l'Église et du sacré qui revêt une place toute particulière. Dans le précédent film de Leone, c'est dans une église délabrée que l'Indien (le "méchant") tue, s'installe et planifie ses actions. Dans Le bon, la bute et le truand, non seulement  l'institution est représentée par ses édifices mais elle trouve en Pablo un fidèle représentant. Là encore, une bâtisse ecclésiastique (une ancienne mission) abrite non pas le mal mais la douleur, les cris, le sang bref la guerre. L'endroit a en effet été réquisitionné autant comme hôpital que comme mouroir pour les blessés. Et Pablo, membre d'une caste encore dominatrice, du moins plus à l'aise que la population, se révèle incapable de gérer la barbarie des hommes, encore moins de l'empêcher de germer... Il ne lui reste qu'à bâtir de gigantesques cimetières et veiller sur les sépultures.

Bref au final, un film à classer parmi les meilleurs redonnant un nouveau souffle au western, la main passant pour un temps à l'Europe, qui pour mémoire et surfant sur la vague a quand même réussi à faire jouer Bud Spencer et Terence Hill, les deux guignols du western spaghetti !

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Commentaires
T
Le spectacle à son maximum, qu'il est préférable de voir dans une salle obscure, pour une expérience inoubliable. bon coup d'oeil pour l'église, j'avais pas capté (et pourtant je l'ai bien bousillé mon dvd.)
Omsk, petit quidam ne faisant pas de vagues.
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