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Omsk, petit quidam ne faisant pas de vagues.
28 juin 2007

The Killing Joke

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Découverte du monde des Comic-Books, et plus généralement de l'univers fantastique et quasi-mythologique de Batman à travers cet ouvrage d'excellente facture The Killing Joke (traduit en français par Rire et Mourir), piloté par le tandem Alan Moore (scénario) et Brian Bolland (dessin). Qu'on se le dise l'œuvre est un très bon moyen d'entrer dans le monde poisseux de Gotham City. Bolland effectue avec brio un travail de qualité, ponctué de multiples détails. D'aucuns disent qu'il aurait mis 3 ans au total pour tout finaliser, prouvant ainsi (mais était-il besoin de le rappeler) que la BD a de droit sa place dans le domaine artistique.

The Killing Joke c'est avant tout l'histoire et la vie du Joker, et à travers lui celle du chevalier noir : Batman. Chose particulièrement pertinente, Moore et Bolland ont décidé de nous présenter la vie du Joker sous deux angles complémentaires (l'un étant la suite logique de l'autre) : celle d'un homme qui, à la suite de difficultés inhérentes à son existence deviendra fou; et celle du Joker au temps présent, époque d'un affrontement entre le bouffon blanc et la chauve-souris noire. Qu'était le Joker avant son accident ? Il (on ne saura jamais son nom) voulait exister en tant qu'amuseur public, se faire une place dans le monde de la comédie. Hélas pour lui, il rate immanquablement ses chutes à cause du trac. De boîtes minables en bars sordides, il ne parviendra jamais à percer. Le (pré) Joker vit dans un petit appartement, qu'on imagine sans peine être un studio (lui même situé dans un immeuble puant le pipi de chat et le troisième âge, selon ses propres dires), où le linge pendu à même le plafond occupe la moitié de l'espace. Le Joker était à l'époque en totale opposition d'avec ce qu'il deviendra. Il est plaintif, pleurnichard, dénué de charisme et s'il arrive à faire rire, cela reste rare et toujours à ses dépens. Comble de malchance, en plus de sa personne, le Joker doit nourrir Jeannie, sa femme enceinte de six mois. L'avenir est loin d'être rose, à moins...

A moins qu'il n'arrive à faire un gros coup, qu'il ne renfloue les caisses, afin de repartir à zéro et de s'affirmer en tant que mari et en tant que père. Abordé par deux petits malfrats sans envergure, le Joker peut commencer à respirer et ce même si à aucun moment il ne se doute que ses complices (voire ses sauveurs miséricordieux) ne sont en train de le manœuvrer pour mieux servir leur forfait. Le Joker est le pigeon idéal, celui prêt à porter le chapeau sans trouver à y redire, tout influençable qu'il est. Et ce d'autant plus qu'il connaît bien les lieux du crime pour y avoir travaillé autrefois : Ace Chemical Processing Inc. A aucun moment il n'esquisse une volonté de révolte. Par des phrases simples touchant droit au cerveau, les malfrats le remettent dans leur sillage : Ecoute ! Tu veux élever ton gosse dans la pauvreté ? ou Demain tu enterres ta bourgeoise dans le luxe. Car entre-temps, femme et enfant sont passés de vie à trépas. A ce moment, le comique raté touche le fond. Pas suffisamment malgré tout pour devenir fou, pas assez pour se réincarner en face blafarde bouffonne et adepte du non-sens et de l'absurde. Non, cette renaissance interviendra au sein de l'usine. Le hold-up se passe mal et suite à l'intervention de Batman, le Joker pris de panique se jette dans l'acide. A l'air libre, pris de convulsions et d'un fou-rire qui ne le quittera plus, le Joker est né, avec ses caractéristiques physiques depuis connues : teint blanc, cheveux verts et rictus rouge macabre lui déformant le visage.

Retour au temps présent, celui du combat entre le criminel et le justicier, l'un étant le miroir déformant de l'autre et réciproquement. Habillé de violet, ce que veut démontrer le Joker c'est que, comme lui, toute personne (l'homme moyen) peut devenir un aliéné en l'espace d'une seule mauvaise journée. La seule solution pour toute personne saine d'esprit est de craquer et de sombrer dans la folie. Et sans se départir de sa bonne foi, le Joker joint la pratique à la parole. Comment ? En kidnappant le commissaire Gordon, en lui faisant subir une épreuve particulièrement désagréable au moyen de sa fille Barbara, et au final en le rendant fou. L'invitation à la fête de Batman, qu'il qualifie volontiers de rat volant, ne sera que le prélude et la confirmation par une personne tiers (et déséquilibrée quoi qu'elle en dise elle-même) de son infernale théorie. Batman lui s'en défend. Il se cache derrière la justice et son masque mais ce n'est qu'un travestissement hypocrite de la réalité. Il le sait mais s'en excuse presque tout bas. Là est la force du Joker sur Batman. Il s'accepte tel quel. Même si, contrairement à ses espérances, Gordon ne devient pas fou, il marque un point en ce qui concerne Batman.

Votre mauvaise journée vous a rendu fou mais vous ne voulez pas...l'admettre ! Vous continuez à faire semblant que la vie a un sens, qu'elle sait ce qu'elle fait ! [...] Quelle est votre histoire ? Une fiancée tuée par un gang peut être ? Un frère découpé en petits morceaux ? Et bien moi c'est pareil. [Le Joker]

D'ailleurs le final, dans lequel cet extrait trouve sa place, a lieu dans une galerie des glaces. Rien d'étonnant. Pas plus que la dernière séquence où Batman, et un des seuls à le comprendre, se tord de rire dans le mugissement des sirènes de police...

The Killing Joke aurait beaucoup inspiré Tim Burton pour son Batman. Graphiquement peut être. Pour ce qui est du reste, je n'arrive pas à déceler le moindre rapport. Le comic met en scène le duel entre deux entités, loin d'être aussi éloignées et différentes qu'on aurait pu le croire en se contentant du long métrage. Ce dernier se place somme toute sur le terrain classique du choc entre le bien et le mal, entre le justicier et le Bad Guy. La psychologie y est, je trouve, mis de côté au profit des gadgets (qui là, au contraire, se trouvent assez absents de l'œuvre de Moore et de Bolland). D'ailleurs Burton a fait du Joker un Jack Napier criminel professionnel, arrogant, sûr de lui et séducteur, bref aux antipodes du looser, du perdant qu'il aurait du/pu être (originellement parlant). On pourrait en multiplier les dissymétries à l'envie.

L'exemple le plus frappant reste celui des naissances. Dans la version papier, Batman existe déjà alors que le Joker n'en est encore qu'au stade du comique de seconde zone. A l'inverse chez Burton, Jack Napier tue les parents du jeune Bruce Wayne, accouchant ainsi d'une sorte d'ange rédempteur noir qui ne trouvera repos, salut et fin que dans l'arrestation voire l'élimination de ce meurtrier. Il ne les lie pas dans la folie mais les attache par le crime de sang. Force est de constater qu'au sommet de l'église, on a réellement l'impression que Batman veut en finir en éliminant physiquement ce personnage qu'il considère comme un monstre mais aussi de façon paradoxale comme un clown (dans le sens péjoratif et insultant du terme). Point du tout dans le comic où Batman se veut autant justicier (ils en viennent bien aux mains), que comme appui voire comme ami. On pourrait travailler ensemble. Je pourrais vous réhabiliter. Vous ne seriez pas seul. Nous ne sommes pas obligés de nous tuer...

  "Une seule journée peut suffire à alliéner le plus normal des hommes.

Voilà le décalage entre moi et le reste du monde.

Une seule mauvaise journée."
 

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Commentaires
O
Je crois que l'essentiel a été dit. Je noterai cependant deux choses. D'abord Snake, tu as tout a fait raison d'aborder le fait qu'à la base les deux histoires ne prêtent pas à s'imbriquer l'une/ l'autre. Moi-même au départ, je ne savais pas que c'était la vie d'un Joker père de famille, rien ne venant confirmer/ infirmer en ce sens. Je voudrai pour finir mettre en avant les transitions dans le récit, elles-aussi très travaillées, du genre le Joker admire son reflet dans une flaque d'eau, la case suivante montrant son "prédécesseur" en faisant de même, mais avec une attitude différente voire opposée.
S
Très bon commentaire, c'est vrai qu'il est toujours possible de creuser avec une oeuvre pareille, notamment au niveau des choix graphique, qui permettent aux auteurs de remplir chaque cases de sens, soit en faisant echo d'une case à l'autre, soit par la position des personnage vis à vis du décor ou les uns vis a vis des autres.<br /> <br /> La manière de découper le récit en deux temporalité différentes, qu'on identifie pas au début pour mieux se prendre soudainement une claque, est aussi incroyablement bien faite.<br /> <br /> Enfin, j'insisterais bien sur a mon tour sur la dualité "Joker / Batman", chacun ayant connu le même parcours mais ayant choisi face à l'absurdité du monde une réponse différente : l'un voulant jouer le jeu de ce monde fou en s'en faisant la démonstration vivante ("ne voyez-vous pas que tout celà n'est qu'une cruelle blague noire?" demande, à peu de chose près, le Joker), l'autre en forcant ce même monde à avoir un sens, héros camusien voulant lui en donner un de ses propres mains. <br /> <br /> Une oeuvre a conseiller à tous en tout cas, relativement courte, aisée à lire, qui ne destabilisera pas les lecteurs européens. Tu a parfaitement raison de souligner que c'est une bonne manière d'aborder l'univers de Batman et d'en comprendre toute la richesse. Un auteur de comics disait que ce qui fait les plus grands héros, ce sont les plus grands méchants; chez Batman, chaque méchant représente une antithèse de la chauve souris, représente à la fois une part de lui même et ce qu'il rejette. Ce temperament monstrueusement schizophrenique, ce dédoublement continuel, on le retrouve, exploitée de manière abyssale et avec une invraisemblable maestria dans "Arkham Asylium"; autre BD mythique, pourtant totalement à l'opposé de celle-ci ; découpage difficile, connaissance de l'univers plutot recommandé (quelques références très pointues; Docteur Destin, Black Mask, etc...)
O
Je reconnais bien là le sieur K. Si je comprends bien, à toi l'artiste nihiliste outrancier jouissant d'une certaine classe. A moi, le fruit d'un amour impossible entre un oeuf et un pingouin, une bestiole disproportionnée, laide et repoussante, qu'on peut facilement corrompre avec un maquereau à moitié pourrave ! Bravo l'artiste ! Clap clap clap! Distribution des rôles signée Ronan la fripouille ! <br /> <br /> Bon, oui, j'aurai pu développer un peu plus la dualité et l'ambiguité des rapports Batman/Joker. Je me suis davantage intéressé à ce dernier, qui est l'illustration première de "Killing Joke" avant Bruce Wayne alias Batman. D'ailleurs, ce comic n'est rien d'autre qu'un one shot, c'est à dire que c'est là une vision (close et sans suite, du moins dans l'univers BD) propre aux deux auteurs, et au fond n'engageant qu'eux (même si elle s'avère très séduisante et bien construite). Le Joker, lui-même, déclare qu'il a différentes versions passées de sa vie, se mélangeant dans sa tête, que grosso-modo celle présentée peut être digne de confiance comme complètement absurde. Burton a choisi une autre piste, crédible elle-aussi. Le mieux restant de lire "The Killing Joke" afin de se faire sa propre idée. J'ai dans cet article abordé le comic de façon assez complète je pense, tout en laissant volontairement des scènes ou des lieux en suspens comme la torture (mentale et physique) de Gordon qui occupe la partie centrale (au propre comme au figuré) de l'ouvrage.<br /> <br /> Au fait, le prochain opus filmique de la saga Batman devrait lui aussi s'inspirer du Killing Joke. Attendons de voir...
R
Hé ben ! V'la enfin un article qui me concerne ! D'accord avec toi sur toute la ligne même si tu aurais pu développer un peu, vu la mine d'analyses que comporte ce sujet...<br /> Mais bon, toi t'es plus dans le registre poisson cru et pyjama passé (pour rester poli), mon petit Oswald...<br /> <br /> Allez, je te laisse avant que tu me fasses pisser le sang par le nez...<br /> Et n'oublie pas : Bob, flingue !
Omsk, petit quidam ne faisant pas de vagues.
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